Faire tester un produit de santé physique avec une actrice.
En début de carrière et pendant mon doctorat, je travaillais au CICIT, où je participais à la certification européenne de dispositifs médicaux (DM), cad que les fabricants de produits de santé devaient nous présenter un dossier et un produit en prouvant qu’ils avaient bien suivi le processus de conception réglementaire de la norme ISO 9241-210.
On testait également le produit / le service à travers une série de tests ; on parle d’évaluations formatives, puis sommatives.
Je me rappelle un projet en particulier où un industriel nous avait contacté pour le dossier de certification CE d’un stylo auto-injecteur.
Concrètement, ce type de DM permet à une personne d’être autonome dans l’injection d’une substance (e.g. les personnes diabétiques, allergiques, etc.) ; dans ce cas, on testait un stylo avec de l’adrénaline pour la prise en charge de personnes allergiques (aux piqûres d’abeille par exemple), et éviter qu’ils fassent choc anaphylactique.
L’objectif du stylo est que la personne souffrante ou une personne tierce puisse injecter la solution dès qu’elle ressent les effets de l’allergie, et ainsi éviter des séquelles dangereuses voire la mort.
D’après l’industriel, le stylo est supposé être si simple à utiliser que toute personne puisse réagir si le patient n’est plus capable de s’auto-injecter.
Pour autant, on ne peut pas s’arrêter à ce que nous disent et pensent savoir les industriels de leurs propres produits, on devait tester le produit quoi qu’il en soi.
Nous avons décidé de partir sur un cas proche de la réalité en embauchant une actrice qui devait faire semblant d’avoir un choc anaphylactique dans une salle d’attente après une allergie alimentaire, sans que les personnes du test ne soient au courant.
Le stylo était devant eux et en s’effondrant au sol, l’actrice montrait son stylo et demandait aux gens de l’aide pour qu'ils le lui injectent.
Cette situation nous a permis d’observer des réactions réelles et fiables, et des résultats franchement intéressants (et alarmants pour l’industriel) :
- la plupart des testeurs mettait plus de trois minutes à déballer le produit, lire la notice et injecter le produit. Sachant que la piqûre doit être faite en moins d’une minute après la réaction, on en était loin….
- On a aussi remarqué qu’un tiers des participants se trompaient de sens en tenant le stylo, et s’injectaient (il n’y avait pas d’aiguille pour le test !) le produit dans le pouce, ce qui est extrêmement dangereux car ça peut créer une crise cardiaque ou une gangrène du doigt. On aurait eu potentiellement deux morts pour un tiers des tests !
Au final, ce produit “révolutionnaire” (selon le fabricant) aurait créé plus de mal que de bien. Heureusement que cette procédure de marquage CE existe !
Je tiens à préciser que naturellement il n’y avait pas réellement de produit, ni d’aiguille, mais ceci ne faussait pas nos observations.
Toutes ces observations et interprétations issues de ces tests nous ont permis d’améliorer la conception du produit final et de confronter la réalité à la perception client qui pensait que son produit était révolutionnaire.
Lors de test d’un produit pareil, une panoplie de choix s’offre à nous, on s’est vraiment posé pleins de questions pas faciles à répondre au premier abord :
- S’il fallait simuler le choc ?
- Le faire en labo vs pas en labo
- D’utiliser un mannequin versus une vraie personne (ça a un coût)
- Faut il prévenir les testeurs ou non ? (certains étaient un peu secoués après le test)
Pour information, on l’a testé sur 8 personnes qui est la norme recommandée.